Mon cher Denis, mon ami de toujours et chère Famille.

Même en commençant tout en haut d’une page blanche, jamais non jamais, je n’aurai pas de place pour écrire toute ton histoire. À voix basse, on aurait tendance à murmurer une phrase, une phrase que l’on garde au fond de son cœur : Attend, attend encore un peu Denis, toi qui étais toujours en pleine forme, tu ne va pas nous quitter si vite. Mais il est certains mots qui partent à la recherche de l’infini et nous savons tous bien que pour toi c’était le moment de partir vers un ailleurs que personne ne saurait définir. C’est alors que tombe soudainement un silence triste et pénible. Comme suspendu en équilibre au-dessus du vide tous nos souvenirs s’envolent, ils s’envolent à grande allure, sans que l’on puisse les retenir.

Avec un caractère bien trempé, Oh oui, bien Jurassien, tu étais sous une écorce d’apparence dure, un cœur très doux et sensible, surtout ta devise était toujours : tout ce qui doit être fait doit être bien fait. Compagnon permanent de notre vie de jeunesse sur terre, tu étais le piolet du marcheur qui savait guider nos pas de sportifs. Ensemble nous avons grimpé toutes les marches, on devrait dire tous les tatamis, pour satisfaire notre envie d’apprendre et de maitriser les différentes techniques du Judo.

On te savait solide et permanent et nous étions fiers de toi. Même si ces derniers temps on te sentait plus fragile et recouvert avec les blessures du temps, grâce à ta bonté, ta générosité et ton courage, tu as su avancer avec sérénité et dignité.

Quelqu’un qui meurt, c’est comme un arbre qui tombe. Mais allons savoir, si c’était aussi une graine qui germe dans une terre nouvelle ? Personne ne le saura jamais, mais ce dont je suis sûr, la seule richesse que Denis emporte avec lui, c’est tout ce qu’il a su nous donner. La mort, c’est l’usure du corps qui clôt l’usage même si finalement c’est l’usage qui provoque l’usure. Tel un livre, la vie se passe chapitre après chapitre.

Tous ces souvenirs, enfermés dans les albums de photos de chaque judoka, nous donnent quelque fois un peu de cette nostalgie qui nous transporte comme un tapis volant, au cœur de notre passé. C’est dans les années soixante que commença toute cette aventure Judo et nous avons réussi ensemble nos examens de 1er, 2e et 3e Dan de 71 à 79. C’était une ritournelle sans limites entre les cours qu’il fallait prendre et ceux qu’il fallait donner pour garantir le renouvellement de notre équipe en championnat suisse. À l’époque nous étions entrainés et coachés par notre président Pierre Schafroth qui a largement contribué aux différents succès de notre équipe.

Tous les week-ends nous étions habitués à conduire les juniors à travers la Suisse et il faut dire que pour Denis ce n’était vraiment pas facile, lui qui avait la garde de ses enfants, entre la préparation des repas, le travail à l’usine, les nettoyages et les devoirs, c’était aussi du sport. Malgré tout, il était toujours présent pour le judo et aussi l’après-judo, il nous invitait souvent pour grignoter quelques plats magnifiquement préparés.

La chance que nous avions, de tenir entre nos mains toute cette richesse, notre jeunesse, avoir vingt ans, nos plus belles années. Nous avons ri de cette merveilleuse vie brodée d’espoir, cette vie aussi riche de joies et de folies qui nous attendait et nous avons bu jusqu’à l’ivresse, tout ce qui à cette époque constituait notre jeunesse.

Ce fut merveilleux de recevoir une équipe française de Cours-Cheverny avec femmes et enfants tous en sandalettes et T-shirt un jour de Pâques avec 1 mètre de neige. Nous avions improvisé une fondue pour réchauffer tout le monde, malheureusement le goût ne passait pas auprès de nos hôtes et cela nous a donné l’occasion de rire pendant bien longtemps. Nous avions gagné le championnat, c’était facile, tous nos invités étaient malades.

Peu de temps après nous avons été invités en France et nous avons eu droit à un super méchoui au goût de vieux mouton très prononcé qui n’était pas non plus au goût de notre équipe. En plus ils avaient drainé tout le département pour trouver les meilleurs Judokas afin de nous mettre une bonne correction.

Cher Denis, tout ce temps merveilleux où tu t’es quelque peu essoufflé en croyant pouvoir le retenir, tu es allé certainement plus loin que l’impossible, tu as su durant toute cette vie, accéder à presque l’inaccessible sans jamais t’arrêter de courir.

Même si le poids des saisons suait quelque peu sur ton visage et creusait quelques sillons de rides, tu avais la faculté de remplacer les songes creux par une magnifique envie de vivre. Nous pouvons dire que tant que le cœur battait dans sa cage, il te laissait la porte ouverte afin de modeler par tes pensées toujours plus vives, l’œuvre d’art de te sentir toujours libre.

Malgré le poids des années, tu n’as pas cessé comme à ton habitude de savoir apprécier et vivre des instants merveilleux avec ta famille et tout ce qui pouvait paraître banal à tout un chacun mais qui te donnait cette inlassable joie de vivre. Mais tu savais, tu savais comment pouvoir encore apprécier les lumières qui changeaient à chaque instant et de toujours trouver l’instant suivant encore plus séduisant.

Tes petites sautes de mémoire t’envoyaient parfois dans un monde transparent mais pas forcément effrayant pour ton entourage. Le plus beau c’était que tu puisses avoir, cette liberté de vivre et de planer, détaché de tout avec des nuances qui quelques fois avaient tendance à se faner.

Toi qui avais l’habitude de vivre dans un univers de croyances, tu ne voulais pas d’un office qui semblerait quelque peu affilié à une religion précise. Pourtant tu croyais, tu croyais au pouvoir de l’amour, mais tu n’avais pas d’affinité pour ceux qui avaient l’amour du pouvoir. Tu ne voulais pas participer à l’élaboration d’une quelconque croyance sans être libre de penser et d’être celui que tu étais. Ne t’inquiète donc pas, tes vœux seront respectés.

Tu nous quittes et tu nous laisses derrière toi un souvenir plein de bonté, de respect et de compréhension pour tous ceux qui t’aimaient. Plus besoin de lutter, plus de grands travaux, la tâche est terminée, voici enfin le jour de ton éternel repos. Les derniers moments de ta vie furent difficiles et tu les as pourtant passés avec courage et dignité.

Merci Denis pour tout ce que tu nous as donné, tu nous as appris à être serein, à la joie comme à la douleur, à l’arrivée comme à l’adieu, au prévu comme à l’imprévu, parfois même au possible et à l’impossible.

Comme dit la chanson, tu ne seras plus là où tu étais mais tu seras toujours partout où nous sommes.

Va Denis mon amis de toujours va, c’est le moment de se quitter, va avec toute cette force que tu avais. Et surtout va, avec les pensées de tous ceux qui te sont infiniment reconnaissants, pour tout ce que tu leur as passionnément donné.

Pierre-André Dubois

Denis Chételat aux championnats cantonaux 1983, archive de Marc Droz-dit-Busset.